La route NetZero a plusieurs voies
Par Rob Cumming, Chef, Développement durable et Affaires publiques, Est du Canada
Le monde a besoin de béton. Le ciment et le béton sont essentiels au développement des infrastructures urbaines dans le monde. Alors que les villes se construisent et que le monde se prépare aux inévitables engagements pour le climat, il faut également reconnaître que l’industrie du ciment représente 7 à 8 % des émissions mondiales de gaz à effet de serre (GES), contribuant ainsi de manière importante à ces défis. Voici le défi à relever : le monde doit construire, mais il doit aussi décarboniser.
La question est de savoir comment l’industrie peut relever ce défi. D’une certaine manière, c’est simple pour l’industrie du ciment : tout tourne autour de la fabrication du clinker, principale source d’émissions de gaz à effet de serre. Les acteurs mondiaux de l’industrie doivent :
- éviter les émissions de carbone en remplaçant dans le clinker les matériaux émettant du carbone ou en produisant ce clinker avec des émissions plus faibles.
- Utiliser le ciment clinker avec parcimonie et efficacité, puis capturer le reste du carbone et l’utiliser ou le stocker.
Ou, plus simplement encore : remplacer, réduire, être efficace et capturer. C’est la logique sous-jacente de la feuille de route vers la carboneutralité présentée dans le tableau 1.
Tableau 1 : les cinq C de la décarbonisation du ciment et du béton
Les cinq C | Exemples | Stratégie |
---|---|---|
Clinker | Efficacité énergétique, combustibles à faible teneur en carbone, changement de matières premières, facteur clinker | Réduction |
Ciment | Matériaux cimentaires supplémentaires | Remplacement |
Béton | Normes de performance, béton à faible teneur en carbone, contenu circulaire | Réutilisation |
Construction | Conception, retour du béton, contenu circulaire | Utilisation efficace |
CUSC | Minéralisation, électro-carburants, utilisation dans la carbonatation, séquestration | Capture |
Toutefois, il est utile de regrouper ces solutions sectorielles en trois catégories : le contrôle des producteurs, la collaboration au sein de la chaîne d’approvisionnement et les partenaires de l’innovation.
Voie 1 : actions contrôlées par les producteurs de ciment
L'industrie dispose de nombreuses solutions connues et éprouvées, mais rarement entièrement sous son contrôle, comme le remplacement des combustibles fossiles par des combustibles à faible teneur en carbone et le remplacement des anciennes technologies par des solutions modernes plus efficaces. Ces deux stratégies permettent de réaliser des économies de trésorerie par efficacité et grâce à des redevances de déversement génératrices de profits lorsque des combustibles à faible teneur en carbone sont produits à partir de déchets. L’utilisation d’ajouts cimentaires peut être élargie.
Ces mesures sont logiques en soi et la réduction des émissions de gaz à effet de serre est un sous-produit intéressant.
Le défi à relever est celui du rythme du changement et de l’accès aux capitaux dans le cadre de la concurrence mondiale pour l’investissement. La possibilité de tirer un produit pécuniaire des réductions de GES par la tarification du carbone, les marchés du carbone, les allègements fiscaux ou les programmes de subvention accélérera la mise en œuvre de ces solutions, qui sont parmi les plus simples à la disposition de l’industrie du ciment.
Toutefois, ces modifications du clinker et du ciment ne permettent à l’industrie de faire qu’une partie du chemin, soit environ 30 % par tonne de produit cimentaire pour l’industrie canadienne (voir le rapport Béton Zéro). La bonne nouvelle, c’est que ces mesures sont simples, car le secteur peut « faire cavalier seul », surtout avec l’ajout de politiques de soutien en matière de carbone.
Ces investissements permettent d’obtenir un produit cimentier analogue, à données comparables, pour les bâtiments décarbonisés, avec des augmentations de coûts modestes pour les constructeurs et peu de changements dans leurs pratiques.
Voie 2 : actions de collaboration de la chaîne d’approvisionnement
La prochaine série de solutions exigera que l’industrie du bâtiment dans son ensemble modifie ses pratiques. Sans aucun doute, il s’agira d’une amélioration beaucoup plus difficile.
Le rapport Béton Zéro indique qu’une réduction supplémentaire de près de 40 % du carbone incorporé est possible grâce aux stratégies de « béton » et de « construction ». Elles nécessitent une collaboration et une planification délibérées tout au long de la chaîne d’approvisionnement du bâtiment, ce qui n’est pas le cas aujourd’hui. En l’absence d’incitations comme des normes de construction écologique ou une tarification du carbone, les progrès seront extrêmement lents.
Quelques premiers résultats positifs ont été obtenus grâce à une conception intelligente de la construction faisant appel à des techniques modernes de calcul pour placer le béton de bonne résistance aux bons endroits. Trop souvent, par exemple, une plate-forme entière est coulée avec le béton le plus résistant, alors que seule une partie de la plate-forme a besoin de cette résistance pour des raisons structurelles. Une conception intelligente permet en fin de compte de réduire la teneur en clinker, le principal facteur de coût (et d’émission de carbone) du béton. Même dans ce cas, de nouvelles pratiques et de nouvelles techniques de placement sont nécessaires dans un secteur qui résiste au changement. Un thème émerge : des projets pilotes avec des partenaires volontaires sont nécessaires pour commencer à changer ces pratiques.
Un autre exemple est l’utilisation de normes de performance qui permettent aux concepteurs de mélanges sophistiqués de fournir un béton adapté aux besoins spécifiques du projet, tout en obtenant un contenu en carbone incorporé beaucoup plus faible, souvent avec un supplément de prix faible ou nul, et des réductions encore plus importantes avec des suppléments de prix plus élevés. La norme ASTM C1157 est un exemple de norme de performance. Toutefois, l’intégration de cette approche dans d’autres normes nationales et internationales sera lente en raison de la résistance au changement. L’instrumentation intégrée peut réduire les risques et, là encore, les projets pilotes peuvent contribuer à modifier les pratiques.
Des réductions plus importantes du carbone incorporé peuvent obliger le constructeur à accepter des bonifications de plus en plus élevées et des mécanismes de partage des risques qui sont loin de la norme du secteur. Les coffreurs de béton seront-ils prêts à attendre plus longtemps pour atteindre une résistance cible dans le cadre d’un calendrier de construction serré? L’instrumentation intégrée peut-elle être utilisée ici aussi pour éliminer l’incertitude?
Il est compréhensible que les ingénieurs et les architectes soient prudents lorsque de nouvelles solutions de construction apparaissent et qu’ils soient lents à les adopter, en particulier lorsqu’il n’y a pas d’avantage apparent pour le projet ou pour eux-mêmes, en dehors de la décarbonisation. Heureusement, des normes de construction ou d’approvisionnement écologiques voient le jour, ce qui incite le marché à adopter des solutions à faible émission de carbone. Ces approches favoriseront la coopération entre le fournisseur de ciment et de béton, le constructeur, l’ingénieur et le propriétaire afin de trouver les compromis qui garantissent l’accessibilité financière et la sécurité tout en décarbonisant l’environnement bâti.
Jusqu’à présent, l’accent a été mis sur l’intensité carbonique et les émissions par unité de produit. La question de la décarbonisation devient bien plus terrible lorsqu’on considère les émissions absolues ou totales et, franchement, c’est la mesure la plus importante. L’hypothèse d’une croissance annuelle de 2 % de l’utilisation du béton sur 10 ans correspond à une augmentation de 22 % de la production, ce qui neutralise en partie les réductions de l’intensité des émissions. Il convient de noter que si le rythme de la décarbonisation dépasse celui de la croissance, la production de clinker diminuera, et c’est là que se produiront les véritables économies de gaz à effet de serre.
Voie 3 : Partenaires de l’innovation
En supposant, avec optimisme, que ces quatre premiers « C » (de la décarbonisation) soient mis en œuvre au cours des dix prochaines années, la réalisation des 25 à 30 % restants pour atteindre le niveau zéro reste la question à un milliard de dollars.
Il n’y a pas beaucoup de problèmes qu’un milliard de dollars ne peut pas résoudre. Une estimation raisonnable du coût des projets de CUSC autonomes (CSC, électro-carburants) est de 1,5 milliard de dollars pour une seule cimenterie; mais même si l’on économisait 1 milliard de dollars grâce à d’autres innovations, cela représenterait encore plus de 2,5 billions de dollars d’investissement pour l’industrie mondiale du ciment. C’est en évitant ou en réduisant ce coût écrasant que l’innovation doit intervenir, surtout en l’absence d’une stratégie de compensation. Que ce soit pour réduire de manière innovante le coût des technologies de CUSC, créer de nouveaux partenariats avec d’autres industries pour partager les coûts ou trouver des moyens de produire des ciments sans clinker, l’industrie a besoin de partenaires pour atteindre cet objectif. La bonne nouvelle, c’est que des innovations originales sont annoncées chaque semaine dans ce secteur et qu’avec le temps, il y a de bonnes raisons de croire que des solutions seront trouvées.
Passer à la vitesse supérieure
Voici une approche à la fois pratique et agressive. Mettre en œuvre les actions qui sont sous le contrôle de l’industrie, en réagissant au prix du carbone comme un texte à court terme, et travailler conjointement pour créer un environnement politique qui favorise la collaboration et l’innovation au sein de la chaîne d’approvisionnement. Pour cela, il faudra effectuer un travail de fond pour garantir une gouvernance solide, des pratiques robustes de comptabilisation du carbone pour les économies de carburant, un lexique commun, l’adoption de normes de performance et une culture de l’innovation en matière de faibles émissions de carbone. Trouver des partenaires pour ouvrir la voie à des projets pilotes.
Enfin, l’industrie doit poursuivre un environnement politique qui positionne la voie durable comme voie rentable tout en fournissant des solutions de construction abordables. Le secteur ne peut tout simplement pas atteindre NetZero en « faisant cavalier seul », il doit donc tendre la main et chercher d’urgence des partenaires afin de pouvoir continuer à construire pour les gens et la planète jusqu’à la fin du siècle.
Références
- Béton Zéro : Plan d’action net zéro de l’industrie canadienne du ciment et du béton – https://cement.ca/fr/durabilite/beton-zero/